Photo : Chez certains le déconfinement est source d’anxiété. Hamish Duncan/Unsplash
L’expression ligne de crête est à la mode. Rien d’étonnant : elle s’applique particulièrement bien à ce que nous vivons en ce moment.
La période de déconfinement peut donner l’impression que nous marchons en équilibre précaire sur un chemin étroit, alors que les vents vous poussent tantôt vers la peur paralysante (« Le virus est partout, je refuse de sortir ou d’envoyer mes enfants à l’école ») et tantôt vers la fuite en avant et une forme de désinvolture (« Il faut bien vivre, on en fait un peu trop avec cette maladie »).
Ces deux tendances reflètent deux réalités humaines opposées mais absolument normales : la prudence et la témérité, mères d’inhibition et d’action. Habituellement, chacun trouve son équilibre, plus ou moins stable, entre ces deux pôles. Cependant, il arrive que des conditions très exceptionnelles et chaotiques, comme celle que nous traversons, mettent à mal ce savant dosage de crainte et d’audace, précipitant certains d’entre nous dans des excès de l’un ou de l’autre.
Le déconfinement peut générer ce type de dérapage, plus ou moins problématique. La crainte se transforme alors en angoisse, voire en terreur irrationnelle et incontrôlable, ou l’audace devient une dangereuse insouciance, nourrie par le fameux mécanisme du déni. Tenaillés par l’angoisse, les uns risquent de perdre beaucoup en liberté d’action, tandis les autres vont prendre tous les risques, bravant notamment les règles de prévention sanitaire.
Quelles réponses et quels conseils peut-on donner pour combattre ces deux penchants préjudiciables ?
La pandémie n’est pas du tout terminée
Aux insouciants tout d’abord, qui pourraient être tentés de relativiser leurs transgressions en se persuadant que « s’ils sont les seuls à ne pas appliquer les règles, ça n’est pas bien grave… », il faut rappeler que l’épidémie est « toujours active et évolutive » en France, comme l’a signifié cette semaine la direction générale de la Santé.
Il est aussi essentiel de souligner que si le confinement n’avait pas été mis en place, la maladie aurait fait des dizaines de milliers de morts supplémentaires dans notre pays, et probablement des centaines de milliers au niveau mondial. Cependant, rien n’est réglé à ce jour. Il reste aujourd’hui encore beaucoup de patients hospitalisés pour Covid-19, notamment en réanimation, car les formes graves sont très longues à soigner. Selon le quotidien Le Monde, mardi 12 mai au soir il restait 21 595 personnes hospitalisées pour une infection au coronavirus, dont 2 542 cas graves en réanimation.
Même en appliquant toutes les mesures restrictives du plan de déconfinement, il n’est pas du tout sûr qu’une « deuxième vague » puisse être absorbée par les hôpitaux, dont les personnels sont épuisés et risquent de ne pas pouvoir se remobiliser de la même façon la prochaine fois. Il faut donc combattre au maximum la propagation du virus, essentiellement pour protéger les personnes fragiles.
Certes beaucoup de personnes jeunes peuvent considérer qu’il n’est pas bien grave pour elles-mêmes de contracter la maladie. Mais elles peuvent ainsi contribuer à transmettre le virus à d’autres personnes qui, elles, pourront développer des formes graves nécessitant des soins prolongés et pouvant, parfois, être fatales. Pour rendre cette nécessité plus concrète et personnalisée, nous pouvons penser à une ou plusieurs personnes, âgées notamment, que nous connaissons et dont nous craignons qu’elle tombe malade.
Il s’agit donc d’une prise de conscience de la responsabilité de chacun, qui doit déboucher sur des actes volontaires assez simples : limiter pendant encore quelques semaines ses déplacements et ses sorties, et appliquer scrupuleusement les gestes barrières dans toute situation sensible (port du masque, lavage des mains, distance physique d’au moins deux mètres). Et ceci de manière encore plus stricte dans les lieux confinés et avec des personnes à risque, essentiellement celles qui ont plus de 60 ans.
Pour les anxieux, des repères et des règles à suivre
Les comportements des uns influent d’ailleurs sur le ressenti des autres. Voir certains négliger les gestes barrières ne fait qu’accentuer les angoisses des inquiets. Aux anxieux, dont la peur naît très souvent d’un sentiment d’incertitude, on peut d’abord rappeler que les connaissances sur l’épidémie ont progressé de manière spectaculaire en quelques semaines. Nous savons désormais plus précisément comment se propage le virus et comment l’éviter en grande partie, en plus de tous les progrès qui ont été faits dans la prise en charge des malades.
Quand on est anxieux, on a besoin de repères et de règles à suivre. Or, dans la période actuelle, ces règles existent et peuvent donc servir de cadre rassurant. Lorsque celles énoncées précédemment sont appliquées rigoureusement, les risques de se contaminer et de tomber malade sont très faibles.
La courbe représentant l’évolution du nombre de personnels hospitaliers infectés par le coronavirus depuis le début de l’épidémie constitue la meilleure illustration de ces acquis. Ce nombre, élevé au départ, n’a cessé de diminuer ensuite alors même que le nombre de malades pris en charge ne faisait qu’augmenter. Une bonne protection est donc possible, au point que la majorité des soignants travaillant tous les jours auprès de patients porteurs du virus n’a pas été contaminée, comme on le constate actuellement grâce aux tests de sérologie.
Naturellement, le risque zéro n’existe pas, et il n’est donc pas possible de vous assurer que vous ne risquez jamais de contracter le virus en appliquant ces règles. Mais il faut alors se rappeler qu’en cas de contamination la gravité de la maladie pour une personne donnée est le plus souvent très faible avec, en moyenne, un taux de formes graves inférieur à 15 % et un taux de létalité inférieur à 1 %.
Ces taux sont plus élevés chez les sujets à risque, surtout les personnes âgées qui nécessitent des précautions encore plus rigoureuses que les autres. Même porteuses d’affections repérées comme des facteurs de risque (obésité, diabète, cancer notamment), l’immense majorité des adultes d’âge jeune ou moyen ne développent pas de formes graves.
Se « désensibiliser » de la peur
Le meilleur moyen de lutter contre l’anxiété du déconfinement, après avoir bien assimilé les recommandations, est de se confronter au monde extérieur quand on doit le faire.
Des mécanismes très élémentaires mais puissants de l’esprit et du cerveau font que plus on évite une situation par peur, plus la peur augmente. Ce cercle vicieux est à l’origine de la plupart des phobies, qui conduisent à redouter de plus en plus, et donc à éviter de plus en plus, des situations en fait non réellement dangereuses. Ce modèle peut être appliqué à la peur du déconfinement, car objectivement, se rendre dans les lieux publics en appliquant les gestes barrières ne constitue pas une situation réellement dangereuse, au sens où elle ne nous expose pas à une menace physique immédiate.
Comme pour toute peur excessive, il faut donc se confronter, très progressivement si besoin, aux situations redoutées, en l’occurrence aux sorties dont vous n’avez plus l’habitude et qui vous paraissent inquiétantes. Vous pouvez ainsi commencer par retourner dans des rues peu fréquentées, en y restant peu de temps, et répéter peu à peu ces exercices. L’essentiel est de le faire de manière progressive mais répétée, pour se « désensibiliser » de la peur comme on traite une allergie.
Vous pourrez ensuite passer à des stades un peu plus compliqués, comme les rues plus passantes ou les magasins. En plus de ceci, la pratique de méthodes simples de relaxation ou de respiration pourront vous être utiles pour faire baisser votre niveau général de stress et mieux lutter contre les signes de l’anxiété.
Si l’anxiété persiste
Si malgré vos efforts vous ne parvenez pas à surmonter vos peurs, c’est peut-être que vous êtes particulièrement sensible au développement d’un trouble anxieux, une forme d’anxiété excessive et handicapante. Dans le contexte du post-confinement et de l’épidémie, au moins trois types de troubles anxieux peuvent s’installer ou s’aggraver : l’agoraphobie (peur de se sentir mal dans les lieux clos ou dans la foule, ou à distance de chez soi), la phobie sociale (peur du regard des autres) et les troubles obsessionnels-compulsifs (peur envahissante, notamment de se contaminer par inadvertance).
Si vous ressentez ce type de peur persistante, ou si vous ne parvenez pas à surmonter d’autres symptômes d’anxiété gênante, la meilleure solution est de consulter un professionnel qui pourra vous proposer une aide efficace au travers de différentes méthodes de thérapie. Celui-ci peut vous être conseillé par votre médecin. Vous pouvez également le trouver en consultant des sites de référence, comme celui de l’Association française de thérapie comportementale et cognitive (AFTCC) ou la plate-forme de téléconsultations gratuites covid-écoute.
Ces troubles sont fréquents, et il ne faut ni culpabiliser de les traverser, ni dramatiser le fait de consulter un psychologue ou un psychiatre.